I turned silences and nights into words. ✵ Arthur

Le doux tintement de la tasse sur le bois de la table arracha un léger sourire à Leksander qui regardait l’eau vibrer sous ce léger choc. Inspirant longuement, reprenant comme une inspiration, il laissa ses yeux parcourir la salle, inspectant les quelques personnes qui était plongées dans les livres et autres ouvrages autour de lui. Il lança ensuite un sourire à Clara, qui était à l’accueil ce jour-là s’assurant que pour elle aussi, tout allait bien. Chose faite, il cala soigneusement son pouce au centre des pages de son bouquin, continuant sa lecture, concentré. Légèrement penché en arrière sur sa chaise, les doigts sur l’anse de la tasse de thé à côté de lui, battant un léger rythme inaudible, Leks semblait tout bonnement être quelqu’un passant du bon temps à la bibliothèque ce jour-là, habillé en chemise et en pantalon de costume, la veste sur le dossier de la chaise, certes, mais... Une personne lambda qui avait sélectionné un recueil de poèmes français non traduits et non l’homme qui dirigeait en réalité, les lieux. Oh, il n’était pas inconnu de tout le monde, certains habitués savaient bien qui il était, mais cela restait rare. Déjà, il n’en faisait pas des courbettes à tout-va, mais surtout, ce n’était qu’un détail, il n’était au-dessus de personne, même sur son lieu de travail.

Alors plongé au milieu de Chanson d’Automne, du non moins célèbre Verlaine, il leva les yeux quand il aperçut une silhouette dans son champ de vision. Il tourna la tête pour regarder un jeune homme qui se plaçait de l’autre côté de la table, face à lui. Leks se redressa alors, posant son recueil de poésies à plat, ramenant son thé et son moleskine vers lui. Il arbora un sourire cordial en regardant le nouvel arrivant, qu’il avait déjà aperçu ici auparavant, d’ailleurs, puis il coupa faiblement le silence de son timbre british.

« Au temps pour moi, j’ai tendance à m’étaler un peu trop... »

Il attrapa son marque-page, qu’il garda entre ses doigts fins, le tapotant sur les pages ouvertes quelques secondes.

« …Et à oublier la politesse : Bonjour. »

Il finit par attraper sa tasse thé et chuchoter alors, toujours en souriant.

« Et, je vous laisse travailler en paix. »

Il haussa les sourcils avant de boire une gorgée de son Earl Grey. Une simple déduction qu’il avait faite en voyant les affaires déposées sur la table face vingtenaire.

En y repensant bien, Leksander aurait pu se retrouver à dix mille autres endroits plutôt qu’à cette table. Il aurait pu se servir de J.R.R. pour s’amener lui-même sur les devants de la scène, achevant enfin son œuvre et la continuant se servant du nom de Tolkien pour faire vendre la chose, mais pour ça, il aurait fallu que Leks soit avide de reconnaissance et qu’il se mette sérieusement à l’écriture, et c’était un non pour les deux. Oh, il écrivait, l’avait même toujours fait, et c’était d’ailleurs pour ça qu’un carnet au cuir noir le suivait tout le temps, pour ses mots et ses brefs dessins, mais jamais il n’avait pensé à se faire publier ou ne serait-ce qu’écrire un livre complet… Au final, il avait cette sensation que c’était déjà fait, qu’il avait déjà accompli ça et en découvrant sa réincarnation, cela prenait sens. Tolkien avait passé sa vie à écrire, à aimer ça, et il ne donnait aucun sentiment à Leksander de continuer dans ce chemin. Les deux hommes partageaient de nombreux points communs, de grandes similitudes, mais n’étaient pas identiques. C’était plus comme voir un mentor guidant son élève, oui, c’était ça, comme une voix de la raison, une conscience.

En regroupant ses affaires soigneusement pour laisser de la place au nouvel arrivé, Leksander s’excusa brièvement, souriant par la suite au salut qu’il recevait en retour. Alors qu’il avait attrapé sa tasse, prêt à reprendre le silence pour ne pas déranger plus que cela le jeune homme, il écarquilla légèrement les yeux. Il regarda son livre tout en écoutant, il semblerait, un connaisseur. Le visage de l’ancien professeur s’illumina aussitôt, toujours enthousiaste lorsqu’il croisait quelqu’un qui s’intéressait à la littérature. L’anglais se redressa rapidement, se remit droit face à la table, posa son thé devant lui et déposa par la suite son ouvrage devant lui.

Il dévisagea un instant son interlocuteur, ça le ramenait rapidement à ses journées en amphithéâtre à Oxford. Puis il offrit un nouveau sourire, plein d’intérêt :

« Je suis surpris de croiser quelqu’un qui s’intéresse à la poésie française, ici. »

Leksander repensa rapidement au recueil Romance sans paroles, et il hocha alors la tête.

« C’est vrai, il est moins connu, d’où le fait que je sois étonné que vous en parliez. Beaucoup disent que Verlaine a perdu son style dans cette écriture… Je ne suis pas d’accord. Je pense qu’on est inconsciemment influencé par la personne avec qui on partage sa vie, surtout si c’est un grand poète également. »

Faisant évidemment référence à Rimbaud, ignorant qu’il était face à lui, en quelques sortes, Leks s’était presqu’automatiquement mit en fonction admiration. La poésie, il adorait, mais la poésie française… Son Shakespeare national n’avait rien à lui envier. Lire Macbeth, certes, mais se plonger pour la première fois dans Sensation au milieu de la nuit, c’était encore plus intense.

« Vous avez étudié la matière ou c’est pure curiosité littéraire ? »

Le revoilà, l’homme qui adorait échanger sur les grands mots et ouvrages publiés, oublié le professeur, le passionné qu'il était n'allait pas manquer l'occasion de parler de quelque chose d'aussi beau.

Un léger mouvement d’incompréhension saisit Leksander quand il entendit le mot ADN. Peut-être que le jeune homme était français, ou en avait des origines en tout cas, vu qu’il n’avait pas l’accent de l’hexagone. Mais, c’était encore bien trop indiscret pour qu’il se permette de lui demander. Autant se contenter d’abord d’un simple échange sur la poésie avant de commencer à vouloir en savoir plus sur sa vie privée.

Sans pouvoir s’en empêcher, l’anglais avait naturellement parlé sans filtre de l’œuvre concernée, et il avait toujours bien plus à dire qu’il ne le voudrait, mais il se bridait un peu, histoire de ne pas repartir dans une tirade éducative, certes intéressante, mais pas nécessaire. Ses yeux dévisageaient sans méchanceté le visage juvénile qu’il avait devant lui, ils se plissèrent légèrement quand il entendit une hésitation sur le pronom employé, mais il ne se formalisa pas, pas pour l’instant. Il finit alors par sourire en hochant la tête aux paroles qu’il entendait :

« On a tous un lien fort avec une ou plusieurs œuvres… Chacun a ses raisons, personnelles ou non. »

Il pensait bien sûr aux siennes, et conserva d’ailleurs son sourire à ce souvenir, partageant un bref instant un sentiment commun avec son âme antérieure.

« Vraiment ? »

Ses sourcils s’étaient levés, accompagnant sa légère surprise. Même s’il savait qu’il y avait des millions de professeurs, c’était toujours une petite fierté d’entendre qu’un de ses nombreux collègues influençait élèves, enfants, et même adultes. D’ailleurs, ce cœur de professeur se serra en entendant que le jeune homme avait dû stopper son cursus subitement. Ce n’était jamais agréable, surtout quand c’était indépendant de sa volonté, mais pour en avoir été témoin, Leks était bien placé pour savoir que la santé était championne pour faire faux bond.

« J’en suis désolé. J’espère sincèrement que vous allez mieux, ou que ce sera le cas. Et qui sait, vous reprendrez peut-être si vous en avez toujours envie… »

Il ne demanderait pas, mais cela ne retirait pas la compassion à ses propos. Lui qui avait adoré ses études, il souhaitait ça à tout le monde. Tout en se redressant, Leksander inspira dans un sourire avant d’étirer brièvement ses bras devant lui, posant ses mains sur la table.

« Oh je suis né et j’ai grandi avec. J’en ai fait mes études, mon métier… mes métiers plutôt, et je mourrais probablement sous une pile de livres que j’aurais mal empilés. »

Il eut un léger rire à cette scène hypothétique qu’il n’avait aucun mal à imaginer. Le connaissant, c’était probable et certainement pas impossible. Déjà, il ne comptait plus les fois où il avait mal accroché l’échelle de la bibliothèque sur la barre d’une des étagères, manquant de perdre l’équilibre une fois en haut de celle-ci.

« En tout cas, si vous cherchez de la poésie, française – il fit un léger geste vers le recueil devant lui – vous êtes au bon endroit, il y a toute une section d’œuvres non traduites ici. Mais j’imagine que vous devez déjà en connaître la plupart. »

En attrapant sa tasse pour la finir, il réalisa alors qu’ils ne s’étaient pas présentés. Il tendit alors sa main libre vers son interlocuteur dans ce but.

« Leksander. Ravi de vous rencontrer. »

Leksander avait eu cette chance de trouver et choisir un parcours scolaire qui lui avait tout de suite plu. Il avait fait toutes ses études sans ressentir la moindre obligation et il était conscient de la chance que c’était. Il était rare de se satisfaire pleinement d’un long cursus, alors entendre que quelqu’un ne voulait pas poursuivre pour quelques raisons que ce soit, il pouvait le comprendre. Il trouvait cela dommage, mais il comprenait.

Un léger rire accompagnait la phrase du jeune homme sur le sujet de l’amphithéâtre. L’ancien professeur avait eu bien du mal à s’y faire lui-même, douce ironie, mais rester dans une pièce close face à ses étudiants, aussi charmants qu’ils soient, c’était souvent lassant. Alors il n’était pas rare de le voir bouger dans tous les sens, marcher de long en large de la pièce et de placer plusieurs fois des pointes d’humour pour compenser le fait qu’il soit reclus huit heures par jour dans une salle de cours et rendre son enseignement plus dynamique. Ce jour-là encore, il préférait être au milieu du hall que derrière son bureau.

« C’est vrai que cela peut vite devenir étroit quand on y pense. »

Il conservait un sourire alors qu’il refermait le chapitre souvenirs sur des années de professeur. Il hocha la tête à l’affirmation qu’il entendait par la suite.

« Il semblerait, oui. »

Des points communs littéraires étaient toujours matière à discussions chez l’anglais. Il observait les gestes face à lui avant de s’appuyer contre le dossier de sa chaise.

« La contemporaine a son lot de chefs d’œuvre également. Beaucoup méritent qu’on se penche sur eux. »

Évidemment qu’il défendait tous les genres et toutes les époques, même si certains titres en question appartenaient à son âme antérieure. Leks oubliait parfois tout ceci et le vieil écrivain anglais passionné ne manquait pas de le rappeler à l’ordre dans ce genre de situations.

Tout en serrant la main de son nouvel interlocuteur, il haussa les sourcils, comme une évidence à l’entente de son prénom.

« Eh bien, comme ce cher Rimbaud, en voilà une bonne raison de le lire. »

Ne voyant là qu’une coïncidence, Leksander s’amusait de cette similitude. Innocemment, bien évidemment. Il savait que Santa Barbara possédait quelque chose de mystique, mais il ne devait pas sombrer dans la paranoïa et croire que chaque personne habitant la ville était une réincarnation. Il poussa un peu plus sa comparaison brève en ajoutant poliment, faisant référence au matériel qu’il voyait devant Arthur :

« De plus, si vous écrivez, vous voilà dans la bonne voie pour succéder à son souvenir à votre manière. »

Des encouragements déguisés qui, il l’espérait, pouvait aider le jeune homme à conserver sa motivation à l’écriture. Après tout, chaque siècle, devait avoir son panthéon d’écrivain, et chacun devait commencer quelque part.