strawberries, cherries and an angel's kiss in spring ft. arthur

Encore une journée irréelle, comme hors du temps, qui venait de s’écouler. Tu tentais de reconstruire un semblant de vie ici, une maison, un travail, des amis. Mais c’est comme si tout glissait être tes mains, comme si tu construisais un château de sable et qu’irrémédiablement les vagues venaient le détruire, au gré des marées. Tu avais certes trouvé une jolie maison dans le vieux quartier, mais tu enchaînais les rejets malgré le nombre d’entretiens d’embauches que tu avais passés, et ton ego en prenait sauvagement un coup. Sans compter que ton porte-monnaie ne pouvait indéfiniment suivre ton train de vie de riche héritière. Si seulement tu ne te faisais pas passer pour morte, tu pourrais taper dans ton somptueux compte en banque, mais voilà où ta bêtise de te conduisait, à toi dans payer le prix maintenant.

Tu te sentais totalement perdue. Égarée dans ces rues de la côte californienne, tout comme paumée dans les méandres de ton esprit. Tes divagations le long des allées de Santa Barbara traduisaient parfaitement l’état mental dans lequel tu te mettais depuis ton arrivée ici il y a deux semaines. La vérité, c’est que tu ne savais plus du tout qui tu étais. Et pour le moment, la jolie ville américaine ne t’avait apporté aucune réponse, peut-être même encore plus de questionnements. Que désirais-tu réellement, que cherchais-tu ici que tu ne pouvais trouver de l’autre côté de l’Atlantique, qu’est ce qui t’animait ? Après avoir passé une vie à correspondre aux attentes de ton entourage et à combler Mère, tu ne distinguais plus ce qui était toi, et ce qui était l’image que tu voulais que l’on ait de toi. Qu’est-ce qui t’appartenait réellement, et qu’est-ce qui était les bagages que les autres avaient empilés sur tes épaules au fil des années ? En fuyant, tu avais tout foutu en l’air, laissé tout ce bordel s'éparpiller autour de toi, se mêler, se mélanger, dans un angoissant capharnaüm. Mais il allait bien falloir que tu ranges tout cela un jour ou l’autre, ramasser les morceaux, trouver qui tu es. Et comme une ado ne souhaitant pas ranger sa chambre, tu repoussais le moment où tu allais devoir te confronter à ces questions existentielles, à faire face à ton reflet. Ton vrai reflet.

Un de tes moyens favoris pour procrastiner cette reprise en main de ta vie consistait à vagabonder de bar en bar, dansant, draguant, te saoulant. Tu n’avais jamais pu connaître cela durant ton adolescence et ton début de vie d’adulte, te construisant une vie bien rangée, bien sage. L’alcool coulait certes à flots aux soirées mondaines, mais prendre une flûte de champagne en compagnie de la haute société londonienne n’avait vraiment rien de comparable aux mètres de shooters offerts par les belles inconnues avec qui tu finis souvent la nuit. Alors tu profitais de cette insouciance, de la découverte de cet univers étranger et ensorceleur. Tu savais que tout cela ne devait rester que temporaire, le temps de te remettre de tous ces changements, de profiter un peu. Tu te promettais chaque soir que ce n’était que passager, qu’après tout ce n’était pas fait pour toi. Mais en attendant ce renouveau, sans même vraiment le  chercher, ton errance à travers les ruelles t'avait conduit devant l’Opal, un des spots qui avaient déjà accueilli plusieurs de tes soirées éméchées depuis ton arrivée. Après la journée que tu avais passée, l’enseigne du pub semblait t'appeler, réconfortante et excitante.

Tu poussas donc le pas de la porte l’allure fière et décidée, pour te diriger directement vers le comptoir. Vu l’heure, il n’y avait pas grand monde, mais à défaut de pouvoir faire de nouvelles rencontres, tu savais qu’un petit verre viendrait te mettre un peu de baume au cœur. Tu t’installas et parce que tes goûts de luxe ne s'accommodaient définitivement pas à l’amertume de la bière, tu lanças au serveur en lui souriant amicalement : « Votre cocktail le plus cher s’il vous plaît ! ». Tu savais que demain matin tu ferais probablement la grimace à la vue des tickets de carte bleue, mais pour le moment, tu voulais juste profiter de l'instant. Et de ton verre.