cross my heart, won't tell no other ♜ Maria

Une agréable odeur de chocolat se dégageait de la cuisine de Nora, alors qu’elle sortait un plateau du four. Elle ne cuisinait pas souvent, mais lorsqu’elle le faisait, elle le faisait bien. Et ce jour-là, elle avait décidé de faire de la pâtisserie, son activité culinaire favorite. C’étaient des moments rares, qu’elle chérissait car ils lui permettaient de se débrancher le cerveau, arrêter de réfléchir et se laisser aller à sa créativité. Il fallait dire qu’elle n’avait pas souvent l’occasion de décrocher de ses activités quotidiennes. Son métier, ses diverses enquêtes en cours, plus ou moins officielles. Et Zack, qui était de retour à Santa Barbara. Les journées passées seule chez elle, à faire de la pâtisserie, étaient assez rares mais toujours salutaires. En plus, elle allait pouvoir lier l’utile à l’agréable, vu qu’elle avait la ferme intention d’aller partager ses cookies tous chauds avec sa voisine, Maria. Elle ne la connaissait pas très bien, mais Nora avait bien remarqué qu’elle ne semblait pas en grande forme depuis quelques temps. Et quoi qu’il puisse lui arriver, il n’y avait aucune épreuve qu’un plateau de cookies savoureux ne pouvait adoucir. C’était scientifiquement prouvé.
Quelques minutes plus tard, la voici donc qui arrivait devant la porte de sa voisine, le plateau dans les mains. C’était un geste simple, mais qui ne pouvait que lui faire du bien. Et si elle arrivait à ne serait-ce que lui décrocher un sourire, ce serait déjà une opération réussie. Elle appuya sur la sonnette, et attendit patiemment qu’on vienne lui ouvrir. Pour être exacte, elle n’était même pas sûre que Maria soit présente, mais elle n’avait rien à perdre de toute façon.
Finalement, la porte s’ouvrit, et elle prit directement la parole.
« Salut ! Comment tu vas ? Désolée de passer à l’improviste comme ça, mais j’ai cookies. Ça te dit ? »

Elle afficha son plus beau sourire, tout en brandissant fièrement le plateau, plutôt sûre d’elle. Une offre comme celle-ci, ça ne se refusait pas.

Objectivement, on peut dire que la jeune femme l’accueillit plutôt bien, malgré son irruption soudaine et inattendue. Elle l’invita à entrer et s’installer, et Nora s’exécuta avec entrain, la remerciant au passage. Elles ne se connaissaient vraiment pas beaucoup, et pour preuve, c’était la première fois qu’elle mettait les pieds dans cet appartement, qui n’était pourtant qu’à quelques mètres du sien. Mais cela ne faisait que quelques mois que Maria était arrivée, et Nora n’avait pas vraiment pris le temps de faire connaissance jusque là.

« Ça va…Et toi ? Et pas de soucis, c’est avec plaisir que je t’accueille, surtout que tu viens avec des cookies, comment refuser mon hospitalité à quelqu’un qui m’apporte des cookies ? Je peux t’offrir quelque chose à boire ? »

Elle s’installa dans le canapé qu’on lui avait indiqué, et posa le plateau de cookies sur la table basse, tout en prenant soin de le positionner sur un dessous de verre pour être bien sûre de ne pas le poser à même la table. Il aurait été dommage de créer un incident diplomatique si rapidement.

« Ça va aussi ! Oui, les cookies, c’est mon arme secrète. Et je veux bien ! Un café... ou un thé, enfin ce que tu as ! Je ne suis pas difficile. » Elle croisa les mains sur ses genoux, observant la jeune femme qui s’affairait. Sa consommation de café avait augmenté considérablement ces derniers temps, et il était probable que n’importe quel médecin lui dirait que c’était dangereux... Donc quand c’était possible, et qu’elle n’avait pas particulièrement besoin de la totalité de ses capacités mentales, elle optait plutôt pour un thé. C’était sa nouvelle résolution du moment.

Ses yeux s’égarèrent sur l’écran d’ordinateur posé un peu plus loin, où elle lut le nom de Marie Curie. Nora fronça légèrement les sourcils, se faisant la réflexion qu’elle n’aurait peut-être pas dû débarquer comme ça, sans prévenir, en plein milieu de l’après-midi. Parfois, à vouloir trop bien faire, elle pouvait se montrer un peu envahissante, et ce n’était pas forcément du goût de tout le monde.

« Je ne te dérange pas ? J’aurais peut-être dû prévenir, mais je n’étais même pas sûre que tu serais là... Tu étais en train de travailler, peut-être ? »

Lorsque la jeune femme lui annonça qu’elle n’avait pas de café, et n’en buvait qu’au travail, Nora haussa les sourcils, laissant échapper un « Oh » à peine audible. Elle était impressionnée par la volonté qu’il fallait, pour ne pas céder à l’appel de la caféine au quotidien, en toutes circonstances. Bon, elle n’était pas tout à fait un exemple sur le sujet, vu qu’elle en buvait déjà plus que la moyenne, de base. Mais pour sa défense, c’était censé être une bonne chose, avec ses troubles de l’attention notamment. De toute façon, la perspective d’un bon thé parfumé lui allait tout aussi bien, et c’était un bien meilleur choix pour accompagner ses cookies maison. Lorsque Maria revint à ses côtés avec ses mugs d’eau chaude et sa boîte de thé, elle opta pour un sachet de thé à la menthe, tout comme son hôtesse. « Merci beaucoup ! »

Puis, alors qu’elle suggérait que Maria devait être en train de travailler, elle vit celle-ci se lever avec hâte, pour aller refermer l’ordinateur et l’éloigner. Avait-elle abordé un sujet sensible... ? Son comportement était pour le moins curieux, mais Nora choisit de ne pas le relever pour le moment. Elle but une gorgée de son thé, tout en écoutant la réponse de la jeune femme. Ainsi, comme elle l’avait supposé, Maria était nouvelle à Santa Barbara et ne connaissait pas grand monde. Pour le coup, Nora était là depuis deux ans maintenant, et même si elle n’avait pas une vie sociale passionnante, disons que celle-ci lui suffisait largement. « Ça fait quelques mois que tu es ici, non ? Comment tu te sens à Santa Barbara ? C’est une ville plutôt accueillante, je trouve qu’elle a son charme. »

Maria enchaîna, lui parlant maintenant de son métier, et la raison pour laquelle elle faisait des recherches sur Marie Curie. Ce n’était qu’une toute petite voix, à l’arrière de son crâne, mais quelque chose lui disait que le petit sourire nerveux que lui adressa sa voisine n’était pas complètement anodin. Encore cette fois, elle décida de l’ignorer, et répondit alors qu’on lui demandait ce qu’elle faisait dans la vie. « Je travaille au FBI. A vrai dire, j’ai plusieurs casquettes, mais rien de bien intéressant. » C’était clairement faux, sa vie était palpitante et allait à cent à l’heure, mais elle ne se voyait pas détailler chacune de ses enquêtes auprès de sa voisine, même si elles finissaient par devenir amies. D’ailleurs, il arrivait qu’on ne la croit pas quand elle déclarait travailler au FBI. Mais tant pis, elle n’avait emmené ni sa plaque, ni son arme. Pour aller manger des cookies chez la voisine, ça semblait un peu excessif. A ce sujet, elle attrapa le plateau de cookies, et le tendit à Maria. Après tout, elle était bien là pour ça à la base, non ?
« Ça te plaît comme métier ? Il faut être passionnée, j’imagine, pour travailler dans ce domaine. On ne rencontre pas souvent des physiciens. Et encore moins des physiciennes. »

Elle attrapa un cookie dans l’assiette, et commença à le grignoter, tout en attendant la réponse de son interlocutrice.

Avec le peu de temps libre qu’elle avait, Nora ne faisait pas souvent des visites de courtoisie à ses voisins. Pire que ça, elle les connaissait à peine, se contentant de les croiser sur le pas de la porte, et leur adresser des banalités. C’était donc la première fois qu’elle avait une réelle conversation avec Maria, et qu’elles pouvaient parler de leurs métiers respectifs, ainsi que de son installation à Santa Barbara. Celle-ci lui indiqua être arrivée en octobre, et confirma ses dires à propos de la ville, avant de lui retourner la question. « Je suis arrivée il y a un peu plus de deux ans. Mais j’avoue que je ne connais pas très bien la ville pour autant... Je n’ai pas vraiment pris le temps, il faut dire. » A cause de son travail, certes. Mais ça, elle en parla juste après, lorsqu’on lui demanda ce qu’elle faisait de ses journées. Et Maria s’interrogea sur ce que le FBI pouvait bien trouver d’intéressant à Santa Barbara. Nora esquissa un sourire, en la regardant par dessus ses lunettes. « Il y a plein de choses dont le commun des mortels ne se doute pas, et sur lesquelles le FBI enquête. » Ce genre de réponses vagues l’amusaient un peu. Bien sûr, elle n’allait pas raconter à sa voisine que des organisations criminelles de grande envergure profitaient justement du calme des petites villes pour se cacher. Ou alors, que si elle s’aventurait dans les quartiers ouest de la ville, ce n’était plus tout à fait la même ambiance... Mais en dehors de ça, il y avait une raison toute trouvée à la présence du FBI, et même si ce n’était pas une enquête officielle, Nora était directement concernée. « Tu as entendu parler des réincarnations ? » Elle avait posé la question sur le ton de la conversation. Leur existence n’était pas réellement un secret, de toute façon.

Nora était assez admirative du statut de physicienne de la jeune femme. Bien sûr, elle-même n’était pas à plaindre, elle avait fait un beau parcours ; mais il fallait un certain talent et une grande passion pour exercer un métier comme celui-ci, ce que Maria lui confirma d’ailleurs. Elle ne pouvait que sourire en voyant la fougue avec laquelle elle lui parlait de son métier. Certes, Nora aimait son métier, mais pas au point d’être intarissable sur le sujet - de toute façon, ça n’était pas autorisé. Elle dévorait donc son cookie, tout en écoutant la jeune femme lui expliquer les problèmes de sexisme dans son milieu. Malheureusement, c’était un sujet qu’elle connaissait elle-même beaucoup trop bien. Maria lui posa d’ailleurs la question, à laquelle elle répondit avec un soupir. « C’est toujours compliqué quand il y a une majorité d’hommes, que ce soit au niveau de l’ambiance, ou même de la quantité de travail à fournir. Il y a bien des femmes, mais elles atteignent rarement des postes à responsabilité. Ou alors, au prix d’assez gros sacrifices, ou d’efforts bien supérieurs à certains hommes. » Elle grimaça légèrement, avant de continuer. « Par exemple, je ne sais pas encore si je veux des enfants, mais ça sera sûrement compliqué, si je veux progresser dans ma hiérarchie. » Enfin, pour ça, il fallait déjà qu’elle trouve la bonne personne, ce qui n’était manifestement pas gagné tant qu’elle passerait autant de temps le nez dans ses enquêtes. Elle se rendit compte que cette information n’était peut-être pas appropriée pour une première conversation avec une personne qu’elle connaissait à peine, et s’excusa avec un sourire confus. « Pardon, c’était un peu personnel comme information... Désolée. » Pourquoi lui racontait-elle ce genre de chose ?

C’était en le disant qu’elle avait réalisé. Cela faisait deux ans qu’elle était là, et elle ne connaissait pas vraiment la ville. Pire, elle n’était même pas certaine de pouvoir prétendre connaître San Diego, ou aucune autre des villes dans lesquelles elle avait vécu depuis la fac. D’une certaine façon, il fallait admettre que c’était un peu triste. Et c’était peut-être aussi pour cette raison qu’en dehors de son travail, sa vie était incroyablement vide. Certes, elle avait Zack. Et elle avait cette capacité à très bien s’entendre avec des personnes nouvellement rencontrées - cette visite en était la preuve -, mais en dehors de cela, elle n’avait personne qui comptait, vraiment. Maria lui demanda si c’était à cause de son travail qu’elle avait si peu de temps. Elle hocha la tête, un sourire un peu amer sur le visage. « Oui... J’adore mon travail, mais il faut dire qu’il me laisse peu de temps libre pour autre chose. » Ce n’était pas tout à fait la vérité. Si elle l’avait voulu, elle aurait très bien pu travailler un peu moins, prendre plus de temps pour elle. Mais encore fallait-il qu’elle le choisisse, consciemment.

Puis, toujours au sujet de son travail, Nora aborda le sujet des réincarnations. Ce n’était pas officiellement un sujet sur lequel elle était censé travailler, mais elle en avait fait une affaire personnelle. Et sur ses fameux moments de « temps libre », c’était à cela qu’elle se consacrait, presque exclusivement. Bien sûr, elle n’allait pas commencer à exposer ses théories, mais c’était tout de même un sujet de conversation intéressant, surtout à Santa Barbara. Elle nota que Maria eut l’air un peu surprise par le sujet, mais ne s’en offusqua pas plus que ça. Après tout, si ça ne faisait que quelques mois qu’elle était là, elle n’avait peut-être pas eu l’occasion de se renseigner sur le sujet - en supposant même que ça pouvait l’intéresser. Elle lui répondit par la positive, comparant même le phénomène avec les fantômes de Savannah. Nora laissa échapper un petit rire. Elle n’avait jamais fait le rapprochement, et ne croyait pas aux fantômes. Mais il fallait dire qu’avant de se retrouver personnellement face à une réincarnation, elle n’y croyait pas non plus. « Exactement ! C’est intéressant que tu fasses ce parallèle. Peut-être que si j’allais à Savannah, je finirais par croire aux fantômes. » Elle lui lança un regard amusé. « En tout cas, c’est un sujet fascinant. Je ne sais pas si tu as déjà eu l’occasion d’en rencontrer, mais en tant que scientifique, ça peut être un sujet d’études passionnant. » Ou alors, peut-être que c’était juste elle, et son cerveau qui cherchait à vouloir tout comprendre.

La conversation se poursuivit sur leurs conditions de femmes, et les implications que celles-ci pouvaient avoir dans leurs emplois respectifs. Et après avoir abordé le sujet si personnel des enfants, Nora s’excusa, ne sachant pas très bien ce qui lui avait pris. Elle ne pensait jamais à ça, normalement. Mais son hôtesse la rassura, puis lui parla des problèmes que pouvaient rencontrer les femmes qui travaillaient dans la science. De nouveau, elle hocha la tête. C’était le genre de choses qui pouvaient la mettre hors d’elle. Mais plutôt que de s’énerver, elle choisit de boire une gorgée de son thé à la menthe. Il n’y avait rien de mieux pour faire redescendre la pression. « Oui, ça me dit quelque chose... Il me semble que c’était le cas de Marie Curie, justement, non ? » En parlant, elle fit un petit signe de la tête en direction de l’ordinateur, en référence au début de la conversation. « Ou alors non, je dois peut-être confondre, vu qu’elle a eu un prix Nobel... Mais j’ai entendu parler de la compagne d’Einstein, qui n’a eu aucune reconnaissance malgré son implication dans ses travaux. Enfin, tu dois beaucoup mieux t’y connaître que moi sur le sujet. » C’était peut-être même des choses qu’elle enseignait à ses élèves. Pour le coup, même si Nora avait un peu de culture générale, ce n’était pas non plus son point fort.

Quand elle était arrivée à Santa Barbara, Nora n’avait qu’une seule chose en tête : Comprendre le phénomène des réincarnations. Pourquoi maintenant, et surtout, pourquoi cette ville ? Malheureusement, ce n’était pas un sujet d’investigation facile à aborder, et elle disposait de ressources limitées puisque ce n’était pas une enquête officielle. Alors, elle avait surtout stagné, se retrouvant avec plus de questions que de réponses. Mais il lui en fallait bien plus pour abandonner, et même elle semblait être dans une impasse, elle n’avait aucune intention de renoncer. Ce sujet la passionnait tellement qu’il était difficile de l’en détourner quand elle commençait à en parler. C’était un peu ce qui s’était passé, ce jour-là, autour de ces cookies et ce thé à la menthe. Elle était parfaitement aveugle face au malaise que ses propos installaient chez son interlocutrice, et reçut de plein fouet la déclaration de cette dernière, qui annonça trouver le sujet pénible. De quoi jeter un froid. Nora se stoppa net, encaissa en silence, et passa volontiers au sujet suivant.

Malheureusement, le sujet suivant, qui traitait de la condition des femmes dans le milieu scientifique, glissa aussi en terrain accidenté. Nora sursauta lorsque sa voisine se leva en haussant soudainement le ton. Elle eut un petit mouvement de recul, un peu sur la défensive, mais tout se passait beaucoup trop vite sous ses yeux. Elle resta interdite, presque tétanisée par ce changement brusque. Son cerveau tournait à mille à l’heure, cependant, faisant le lien entre tout ce qui venait de se passer, et ce que lui disait Maria. Elle ne faisait pas vraiment sens, mais c’était suffisant pour Nora, qui en avait entendu assez pour comprendre l’essentiel. Bien sûr, Maria était arrivée il y a peu en ville, et elle était physicienne... Le rapprochement était maintenant évident. « N... non, pas du tout, je suis désolée, je ne savais pas... » Délicatement, elle reposa sa tasse sur la table, prenant bien soin de ne pas faire de mouvement brusque pour ne pas effrayer la jeune femme. « Personne ne va t’emmener, et personne ne va faire d’expériences sur toi. Je ne suis pas méchante, Maria. » C’était bête, mais avec toutes les histoires de science-fiction impliquant le FBI, et les recherches scientifiques sur des cobayes tenus prisonniers, elle ne pouvait pas vraiment blâmer qui que ce soit d’avoir peur. Mais non, ce n’était pas vrai. Ou si ça l’était, elle n’était pas au courant. « Il ne va rien t’arriver, je te le promets. Et je te jure que je n’en savais rien du tout. »

Elle voyait très bien en quoi sa visite pouvait paraître suspecte, mais c’était le fruit du hasard, rien de plus. Désemparée, elle baissa le regard vers le désastre à leurs pieds, causé par la tasse tombée des mains de Maria. La blonde attrapa quelques serviettes, qu’elle posa à l’endroit où s’était répandu le thé. Comme pour atténuer un peu cet état d’urgence qui régnait dans la pièce. Puis elle se leva, faisant face à son hôtesse. « Je suis vraiment désolée... » répéta-t-elle. « Je ne voulais pas t’effrayer, ou te bouleverser. Mais je peux t’aider, si tu le souhaites. » Il y avait toujours une certaine distance de sécurité entre elle, ce qui était préférable au vu de la situation. Nora faisait de son mieux pour adopter une voix et une attitude rassurante, mais ce n’était peut-être pas suffisant. « Sauf si tu préfères que je m’en aille ? » Si Maria voulait être tranquille, elle n’allait pas s’imposer. Elle n’en avait pas le droit, et surtout, elle ne voulait rien faire de plus qui puisse contrarier sa voisine.

Quand elle avait décidé de profiter de son jour de repos pour cuisiner, et enfin faire plus ample connaissance avec sa voisine, Nora ne se doutait pas un seul instant que le sujet des réincarnations reviendrait de nouveau au centre de ses préoccupations, et surtout, elle ne s’imaginait pas une seule seconde en rencontrer une. Pour elle qui pensait pouvoir décrocher un peu de son travail - même officieusement -, c’était mal tombé. Mais elle ne se démonta pas, et fidèle à elle-même, fit tout ce qui était en son pouvoir pour essayer de rassurer la jeune femme, voire essayer de gagner sa confiance, ou au moins, ne pas être mise à la porte. Malgré ses recherches, tout ce qu’elle savait sur le sujet n’était que de la théorie. Elle-même n’était pas concernée - ou si c’était le cas, elle n’en avait pas conscience -, et il était compliqué d’établir une base de connaissance solide quand la moitié des « réincarnés » qu’elle rencontrait étaient des criminels, dans cette vie ou l'ancienne, et peu enclins à partager leurs ressentis avec une représentante de l’autorité publique. Elle éprouvait donc un élan de soulagement en constatant que Maria commençait peu à peu à se détendre, et que quoi qu’elle faisait pour la calmer, ça avait l’air de fonctionner.

Pourtant, elle fut de nouveau surprise lorsque la jeune femme se laissa retomber sur son canapé et fondit en larmes sur celui-ci. Nora l’observa en silence, soudainement prise d’hésitation. Si elle était généralement tactile et affectueuse avec son entourage, elle ne savait pas ce qu’il en était pour Maria, ni quelle serait sa réaction face à un geste un peu trop entreprenant. Elle se limita donc au minimum, en s’asseyant près d’elle dans le canapé, histoire de lui montrer une présence réconfortante, sans pour autant envahir son espace personnel. Celle-ci reprit d’ailleurs la parole, de façon un peu décousue, mais plutôt encourageante. Ce qui était certain, c’était que Maria était perdue. Elle semblait avoir gardé toute cette histoire pour elle depuis beaucoup trop longtemps ; et d’une certaine façon, elle avait l’air soulagée de pouvoir enfin se confier à quelqu’un. Nora restait à côté d’elle, impassible, l’écoutant avec patience. Elle n’avait pas vraiment de réponses à apporter à tous ses questionnements, mais ce qui était sûr, c’est qu’elle ferait de son mieux pour l’aider à y voir plus clair.

« Tu es une jeune femme brillante. Peu importe ton nom, et quoi qu'il arrive, j'en suis convaincue. » Elle se rendait bien compte de la facilité de sa position par rapport à celle de Maria, mais tout ce qu'elle pouvait faire, c'était lui apporter son soutien dans ce qui semblait être une épreuve difficile. « Je n'ai jamais été à ta place, je ne peux qu'imaginer ce que tu vis, mais tu n’es pas seule. D’accord ? » Elle avait légèrement penché la tête, essayant de croiser son regard. Dans ce genre de moments, tout passait par les yeux, et il était important que sa voisine comprenne qu’elle était très sérieuse. Puis elle essaya de raisonner, comme elle le pouvait, pour finalement lui apporter un début de réponse. « Je dirais que tu peux choisir d’être celle que tu veux, ou un mélange des deux, peut-être. Est-ce qu’il y a des choses qui te semblent plus naturelles que d’autres ? Par exemple, est-ce qu’il y a un des deux prénoms que tu préfères ? » Pour le coup, ils étaient suffisamment proches pour que ça ne change pas grand-chose. Mais il était important que Maria comprenne que, malgré tout ce qu’elle vivait, elle était toujours la seule à pouvoir déterminer ce qu’elle était. Ou plus exactement, qui elle était.

Enfin, elle osa poser une main sur l’épaule de la jeune femme. En douceur, pour ne pas la brusquer. « Tu sais, tu ne t’en rends peut-être pas compte pour le moment, mais ce que tu vis est extraordinaire. » C’était peut-être un peu difficile à concevoir, de son point de vue. « Mais ce n’est pas tout ce qui te définit. Tu as eu une carrière, une vie, avant d’arriver ici. Et tout cela ne sera jamais remis en cause, peu importent les prouesses que tu as pu accomplir dans ta vie passée. » Elle n’osait même pas imaginer ce que ça pouvait représenter, d’avoir les souvenirs d’une femme aussi brillante qui faisaient soudainement surface. Il était parfaitement compréhensible que Maria soit prise de vertiges sur le coup.